La date de naissance de Chouki, en théorie, aurait dû être le 1er Mai. Finalement, ce petit monsieur a pointé le bout de son nez le 26 Avril. J’avais dit un jour qu’il n’y aurait pas de tabou ici, le but étant de partager autour de la maternité, alors j’ai choisi de vous raconter mon accouchement. Retour en arrière, il y a un peu plus de trois semaines.
Tout est question de mathématiques
Qui dit « troisième grossesse » dit qu’on sait un peu à quoi s’attendre tout de même. D’autant que pour Chouchou j’avais connu la perte des eaux dans le lit, et que pour Chouquette j’avais dû compter les contractions jusqu’au seuil critique… Cette fois, j’en étais certaine, ce serait les contractions qui sonneraient le signal d’alarme. Après trois semaines de « faux travail » quasiment chaque jour, comme j’en parlais dans mon article de désespoir justement avant d’accoucher, c’était certain que tout commencerait comme ça. Samedi 25 Avril au soir, mon petit frère et son amie sont venus dîner à l’improviste à la maison. Régulièrement au cours du repas, des contractions m’ont arraché quelques grimaces, et en riant, mon frère me disait qu’il testerait bien mon canapé-lit cette nuit là, pour être présent et garder Chouchou et Chouquette au besoin. Nous rions aussi en nous rappelant que la veille de la naissance de Chouchou, j’avais consommé uniquement une limonade et quelques cacahuètes. Ce samedi 25, je me régale de limonade et de… noix de cajou. Mais on y était presque, non ?
La partie de manille finalement étouffée dans l’œuf, nous allons nous coucher aux alentours de minuit, les contractions s’étant arrêtées. Avant de fermer les yeux, Papa Choux me dit en riant que ce petit Chouki va peut-être faire un mélange de mes deux précédents accouchements : cacahuètes-limonade comme pour Chouchou, mais réveillée par des contractions en plein milieu de la nuit, comme pour Chouquette. Je ris dans un demi-sommeil, mais à 3h20, quand la douleur me tire des bras de Morphée, je ne ris plus du tout.
J’ai installé sur mon téléphone un compteur de contractions, que je déclenche quand la contraction commence, et que je stoppe quand elle s’arrête. Il me permet de compter les intervalles, et de voir en un coup d’œil si le travail devient régulier. Papa Choux y jette d’ailleurs souvent un œil, histoire de voir où j’en suis. A 4h30, j’étouffe un juron dans mon oreiller, je serre les dents autant que faire se peut, mais je réveille quand même Papa Choux. Aussitôt, il a les idées claires, regarde le compteur, et à ce moment il me dit une phrase bien sentie dont je me souviendrai toute ma vie. Ca ressemblait à « Oh oh. Ça te fait mal ?« .
10 à 12 minutes d’intervalle dans le lit, c’est encore trop espacé pour se rendre à la maternité, mais je commence à avoir tellement mal que je ne tiens plus allongée. Je m’assois alors au bord du lit, Papa Choux chope sa tablette et son portable pour s’occuper l’esprit. A chaque fois qu’une contraction arrive, il se charge de me masser les reins. Tout comme il y a un peu plus de 16 mois, c’est la seule chose qui me soulage. Je compte plus vite que mon compteur. Il est 4h10, normalement la contraction suivante arrivera à 4h20. J’ai donc le temps de me lever tranquillement, d’aller faire un tour à la salle de bain et de me laver les dents. J’ai besoin de me lever, de faire comme si cette matinée était normale, après tout, c’est certainement une fausse alerte, n’est-ce pas ? Je reviens à la chambre, pour préparer des affaires, il est 4h16. Et bim, une autre contraction. Elles se rapprochent les bougresses, et Papa Choux réalise que la précédente était proche, ça n’aurait pas dû revenir si vite. Sauf si… Et on continue de compter. Je ne tiens même plus assise, je reste debout, je fais des 8 avec mon bassin, et à chaque nouvelle contraction, je prends appui sur le mur et me hisse sur la pointe des pieds. Je ne sais pas pourquoi cette position est la seule qui me soulage un peu. Je me dis aussi que la gravité doit aider à faire descendre mon Chouki, alors autant rester debout.
Une organisation sans faille
A 5h15, les contractions sont installées toutes les 5 minutes, depuis déjà un bon quart d’heure. Comme j’ai peur d’accoucher dans mon lit, je préviens Papa Choux qu’il ferait bien de se lever, que ça a l’air d’être pour aujourd’hui. Il prépare ses affaires et part prendre une douche. Pendant qu’il se savonne – et il n’a jamais été aussi rapide de sa vie – je prépare mes vêtements, ceux dans lesquels je suis à l’aise, en me disant que c’est sans doute la dernière fois que je dois hisser mon gros ventre dans un legging un peu trop serré, la dernière fois que j’enfile cette tunique dans ces conditions. A 5h30, je file à mon tour dans la douche, et Papa Choux part appeler Mamie Choux. Coup de chance, elle est déjà debout et comme elle habite la même ville que nous, sera présente en moins d’un quart d’heure. Dans la douche, tout s’accélère, les contractions se sont encore rapprochées et c’est toutes les deux minutes que je serre les dents, en passant le pommeau de douche sur mon ventre. Finalement, au moment où je sors de la douche, je n’ai plus que 20 secondes de répit entre chaque pic de douleur. Je m’habille en quatrième vitesse, file dans la chambre récupérer mon chargeur de portable et deux autres babioles dont j’aurais besoin à la maternité, et je descends l’escalier à vitesse de tortue, rejoindre Papa Choux déjà parti démarrer la voiture.
Mamie Choux est parfaitement dans les temps, elle se gare devant le garage, Papa Choux qui a toujours bien les pieds sur terre gère les derniers détails avec Mamie et nous sommes prêts à partir. Ma mère m’embrasse et me dit « allez, file, traîne pas, va rencontrer ton bébé ! » et je crois que là, au moment où je pose mes fesses dans la voiture, je réalise ce qui est en train de se passer. Je ne suis pas stressée : mes enfants sont entre de bonnes mains, la maternité n’est qu’à 10 minutes de route, Papa Choux est serein et moi aussi. Dans la voiture je regarde passer les minutes, et je ne comprends pas pourquoi je n’ai pas de nouvelle contraction. Au moment où je me fais cette réflexion, je sens la douleur monter depuis le bas de mon ventre jusqu’à mon nombril, puis comme un étau elle serre tout mon abdomen, et mon ventre durcit autant que du béton. La douleur, presque salvatrice, me rappelle vers quoi nous roulons. Il fait encore nuit, les lumières de la ville et des usines accompagnent notre voyage jusqu’à l’hôpital. Une place est libre devant les urgences maternité, alors Papa Choux s’y engouffre. Nous récupérons dans le coffre le fameux sac du jour J, celui qui contient la première tenue de notre bébé par exemple…
Gérer la douleur autrement
Pour accéder aux salles de naissance dans la maternité dans laquelle je vais accoucher pour la troisième fois, quand il fait encore nuit, il faut passer par les urgences. Après avoir sonné à l’interphone, nous passons successivement deux portes automatiques, actionnées par une infirmière blonde aux cheveux courts. Elle passe sa tête hors de son bureau, Papa Choux lui dit que je viens pour accoucher. Elle penche sa tête par la porte du bureau dans lequel elle se trouve, et quand elle me voit serrer les dents pour gérer la contraction qui arrive, elle me fait un grand sourire et actionne la seconde porte automatique. Je l’entends dire derrière moi « ah oui, vu votre tête, c’est pour aujourd’hui« , alors je souris niaisement. Nous avançons lentement – très très lentement – dans le couloir, et quand une nouvelle contraction se pointe, je m’appuie contre le mur. Une équipe d’agents d’entretien, deux femmes qui discutent en poussant un chariot, arrivent en contresens et me demandent si j’ai besoin d’aide. A voir ma tête, ces deux-là ne sourient pas le moins du monde par contre, d’autant que je ne peux leur répondre. Quand je me redresse après ma contraction, leur regard s’éclaire d’un coup, mon gros ventre expliquant forcément la situation.
Arrivée en salle de naissance, la sage-femme de nuit est occupée avec une autre future maman. Cinq minutes après notre arrivée, nous entendons d’ailleurs le bébé pousser ses premiers cris. C’est donc l’auxiliaire puéricultrice avec qui elle forme un binôme qui vient m’installer le monitoring. Allongée sur le lit, je gère très mal la douleur, alors je demande à rester debout. Le monitoring, qui matérialise sur papier chacune de mes contractions, est aussi anarchique que ce que je ressens. Finalement, c’est quasiment une contraction continue désormais. La sage-femme finit par arriver, regarde le tracé et me fait passer une blouse rien qu’à le lire ; enfin, elle m’examine. Il est 7 heures du matin, le col est ouvert à 3 bons centimètres. Si mes souvenirs sont bons, la péridurale peut donc être posée désormais, et je n’attends que ça pour être délivrée de la douleur. Et en effet, la sage-femme confirme ce que je pensais. Elle appelle l’anesthésiste, et me pose la perfusion, je m’installe assise au bord du lit, mais comme l’anesthésiste tarde à venir, je me remets debout. Histoire de préserver ma dignité, car la blouse est ouverte tout le long du dos, on m’a quand même laissé ma petite culotte, et c’est tant mieux. Pour patienter, on m’apporte un énorme ballon gonflable jaune, je m’y assois et la douleur dans mes reins est aussitôt soulagée. Entre deux contractions, c’est un régal, mais quand la douleur monte, la position assise est quasiment insupportable. Occupé avec une future maman dont c’est le premier accouchement, l’anesthésiste n’arrive que trois quarts d’heure plus tard, mais je prends tout cela avec le sourire, puisque je sais que toutes ces douleurs ne seront bientôt plus que de l’histoire ancienne.
Quand mon sauveur finit enfin par arriver, je suis assise au bord du lit, qui a déjà été relevé à hauteur suffisante pour qu’il puisse me piquer au milieu du dos. Assise dos au spécialiste, Papa Choux a pris place face à moi. Je fais le dos rond comme on me le demande, mais préviens à la moindre contraction. En voilà justement une qui monte, je souffle calmement en me disant que c’est la dernière de cette intensité, la dernière de toute ma vie. Solide comme un roc, mon mari fait cette fois encore preuve d’un calme inébranlable et me fais deux ou trois blagues. Je lui rappelle de ne pas me faire rire au moment fatidique, mais de me parler, de n’importe quoi pour que j’oublie qu’une aiguille va s’insérer au milieu de ma colonne vertébrale. Je lance donc les paris avec le personnel médical : devinons ensemble combien pèsera le bébé. Papa Choux m’occupe l’esprit par des mathématiques, parle probabilité, explique à la sage-femme et à l’auxiliaire le poids de Chouchou et et Chouquette… Les paris sont posés, la sage-femme annonce 3,6kg et je me moque d’elle, en lui rappelant que je fais des crevettes, que c’est dans mes gènes. Finalement, la péridurale est posée sans même que j’ai réellement stressé. Je sens encore la douleur des trois contractions suivantes, mais elle diminue jusqu’à disparaître.
Je me réinstalle en position allongée, prête à patienter, sereine. Cette péridurale, c’est l’assurance que mon bébé sera là dans quelques heures. La sage-femme m’informe que le changement d’équipe aura lieu à 8h30, qu’elle m’examine donc une dernière fois. Le col est ouvert à 7 centimètres, toutes ces contractions douloureuses auront été efficaces, cela va très vite. Je veux me reposer, je ferme les yeux, mais les ouvre finalement toutes les trois minutes pour vérifier mon portable… Facebook, Instagram, je ne dis rien mais je m’occupe en lisant les nouvelles des autres. Par SMS, je donne des nouvelles à Mamie Choux, à une amie et une de mes cousines. Ce seront les trois seules personnes à savoir à quel point l’arrivée de Chouki est imminente. La nouvelle équipe arrive, et se présente. Nathalie sera la sage-femme qui m’aidera à mettre notre fils au monde, elle est adorable, je l’ai déjà croisée lors de mon hospitalisation trois semaines plus tôt.
Nos dernières minutes ensemble
Maintenant, nous n’avons plus qu’à attendre. Je fais part à Nathalie de ma dernière inquiétude : l’épisiotomie. Les souvenirs de mon premier accouchement, du bruit des ciseaux, des points de suture et surtout des complications qui ont suivi, me laissent un goût amer au fond de la gorge. Lors de mon second accouchement, pas un point de suture à l’horizon, comme un miracle. Mais comme un accouchement ne fait pas l’autre, je suis inquiète de devoir subir à nouveau ce désagrément. Nathalie me rassure aussitôt : pas d’épisiotomie si ce n’est pas nécessaire, et en plus elle pratique l’acupuncture du périnée, pour détendre le muscle le plus possible et éviter justement d’être obligée d’en arriver là. Je me détends, de toute façon, il faudra bien qu’il sorte ce bébé, si l’épisio doit avoir lieu, elle aura lieu et puis c’est tout.
Les minutes défilent vite, à 9h30 Nathalie m’examine de nouveau car la poche des eaux s’est percée d’elle-même. Le col est quasiment à dilatation complète, et le bébé est bien descendu. Selon ses dires, et elle a plus d’expérience que moi après tout, mon Chouki travaille bien, il est pressé de nous rejoindre. Il bosse quasiment tout seul, et il sera rapidement avec nous. Elle parie sur 10h, et d’un coup, je réalise ce que cela signifie : il ne nous reste qu’une demi-heure pour partager ce corps. Comme je l’avais dit à Papa Choux peu de temps avant, ce qui est étonnant avec mes deux premiers accouchements, c’est que je ne me souviens pas d’avoir profiter de ces derniers instants pour toucher mon ventre. Cette fois, je me dis que c’est le moment ou jamais pour profiter, pour communiquer de cette façon si unique avec mon bébé. Entre deux contractions, qui continuent de faire durcir mon ventre comme du béton même si elles ne me font plus souffrir, je parle à mon Chouki, je lui dit qu’il est un bébé super, qu’on l’attend avec impatience, qu’il va bientôt pouvoir nous rencontrer… et je touche mon ventre comme je peux, entre les élastiques du monitoring.
Finalement, Nathalie s’est un peu trompée sur l’heure d’arrivée de Chouki, sur la fin il a décidé de prendre son temps. A partir de 10h45 ou 11h, je ne sais plus vraiment, je commence à sentir de nouveau les contractions, pas la douleur mais juste une légère sensation dans le bas du ventre, je sens que cela « pousse » ; à mon avis, mon Chouki est prêt à pointer le bout de son nez. Papa Choux sonne, Nathalie et l’auxiliaire puéricultrice arrivent. Après examen, en effet, bébé est presque là. Il va falloir attaquer la partie sportive du boulot.
Effort et réconfort
A ce moment là, Nathalie monte le lit très très haut, bras tendus je pourrais presque toucher le plafond de la salle d’accouchement. Elle préfère travailler debout – et Papa Choux m’a confié qu’elle a même mis notre enfant au monde pieds nus. Les jambes en hauteur, j’ai presque l’impression d’être penchée en arrière. Je sais que c’est à moi d’aider mon Chouki maintenant, mais il y a un soucis, et il est de taille. Je ne sens vraiment pas du tout les contractions, au point que je ne sais pas quand pousser. J’ai l’impression de pousser dans le vide, de ne rien sentir du tout. J’ai l’impression de m’essouffler pour rien, et je perds confiance. Nathalie me confie avoir pourtant baissé de plus de moitié le dosage de la péridurale, mais aucune sensation ne revient vraiment. Elle voit bien que je suis désœuvrée, et même si elle me répète sans arrêt que je ne dois pas lâcher, qu’elle est presque en train de se fâcher, elle est tout de même réconfortante.
Au bout d’un moment, je demande à ce que mon dossier soit redressé. Nathalie ne cesse de me répèter « allez, faites le monter », mais ce n’est pas logique. Un bébé ne doit pas monter, il doit descendre. A écouter Nathalie, Newton doit se retourner dans sa tombe… que fait-elle de la gravité, bon sang ? Je demande à Papa Choux, qui m’aide comme il peut en m’aidant à relever la tête à chaque poussée, de me soutenir dans le haut du dos. Nathalie me propose de toucher la tête du bébé, pour que je réalise à quel point il est proche. Tous nos efforts conjugués finissent par payer, et d’un coup je sens beaucoup mieux mon bébé descendre. J’ai l’impression qu’il avance millimètre par millimètre. A la fin d’une poussée, je dis à Papa Choux « Ca y est, je le sens, je sais que je suis plus efficace » et Nathalie confirme « Oui oui, c’est sûr, encore un effort car il va falloir passer ses épaules ». Et là, le coup de massue. Je suis en loque, tremblante, essoufflée, mais je souris à m’en ruiner les zygomatiques. Il est là.
En aidant mon Chouki à sortir ses épaules, Nathalie s’exclame « oh oui, je comprends mieux d’un coup ! Il est très grand ce bébé ! ». Je tends déjà les bras pour attraper mon bébé, mon fils, mais Nathalie tarde à me le donner. « Attendez, il a le cordon autour du cou, ce n’est rien mais je dois lui retirer ». Elle fait une petite manoeuvre que je ne peux pas voir, mais aussitôt me tend mon bébé. Il est chaud, glissant. Il ne pleure pas mais chouine un peu. A peine posé sur moi, l’auxiliaire le nettoie rapidement avec un tissu. Après trente-cinq minutes d’effort, enfin notre fils nous a rejoint. Comme lorsque mon regard a rencontré son frère, puis sa soeur, je pleure toutes les larmes de mon corps. Je n’ai pas eu mal, je n’ai pas souffert pendant ces dernières minutes, mais j’ai eu peur. Peur que la vie de mon fils ne commence avec une maman « pas à la hauteur », et puis finalement non. J’ai réussi, pour la troisième fois, et j’ai l’impression d’être invincible. Je pleure de soulagement, de joie, de le voir enfin avec nous et c’est un régal.
Nathalie fait les vérifications d’usage, mais très peu de temps après, nous nous retrouvons seuls tous les trois, pour la première fois. Mes larmes qui s’étaient un peu taries, repartent de plus belle. Papa Choux m’embrasse, embrasse son fils. Il est beau, il ne ressemble pas à son frère et sa soeur. Et il n’est pas si grand, je le trouve tout petit, moi, à mes yeux, c’est encore une crevette. Nathalie revient, et me confirme qu’il n’y aura pas de points de suture, merci ma crevette.
A 11h47, ce dimanche 26 Avril, Swan a rejoint la famille Choux. Notre « crevette » pèse 4,030kg, et mesure 52 centimètres.
Mamie choux est ravie d’avoir « partagé » cet évènement !
J’adore même si tu m’as fait pleurer lol